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Vie professionnelle : les émotions importent autant que les savoirs

15 juin 2015


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École publique à Manchay, Lima

Julio Cesar Casma / Banque mondiale

Les compétences sociales favorisent la réussite professionnelle et peuvent contribuer au recul de la pauvreté.

L’expérience ou la personnalité ? Qu’est-ce qui compte le plus lors d’un entretien d’embauche ? Jusqu’à très récemment, les employeurs privilégiaient surtout la maîtrise qu’un candidat avait de son domaine d’activité. Un individu plus diplômé ou plus expérimenté l’emportait sur quelqu’un de moins chevronné ou ayant fait moins d’études.

Aujourd’hui, les employeurs commencent cependant à s’intéresser à d’autres aspects, qui ont trait notamment à la personnalité. Selon une étude de la Banque mondiale (a), la persévérance, c’est-à-dire la détermination à atteindre des objectifs de long terme, est l’un des traits de caractère les plus recherchés par les entreprises. Mais les futurs employeurs attachent également une grande importance à la résolution de problèmes, la résilience, l’éthique et les capacités à travailler en équipe.

« Je vois de plus en plus d’annonces faisant référence à l’aptitude à ‘travailler sous pression’ », indique Rommel Cáceres, qui a travaillé dans plusieurs entreprises péruviennes. « Et cette capacité s’acquiert à l’école, faute de quoi vous aurez du mal à conserver votre emploi ».

Que recouvrent les compétences sociales et émotionnelles ? Pourquoi sont-elles importantes ?

Les compétences sociales et émotionnelles permettent à un individu d’entrer en relation avec autrui et son environnement. Tout commence par une alimentation adaptée, une bonne santé et un cadre stimulant dans les trois premières années de la vie. L’enfant consolidera ensuite ces aptitudes dans le foyer familial puis à l’école.

L’empathie, la tolérance, la confiance en soi, la créativité, le contrôle de soi et la persévérance s’acquièrent pendant l’enfance et ceux qui les maîtrisent avant leur cinquième anniversaire auront moins tendance à avoir des comportements à risque plus tard (toxicomanie, grossesse précoce, adhésion à une bande délinquante, voire criminalité).

D’après l’UNESCO, l’Amérique latine et les Caraïbes comptent près de 117 millions d’enfants et d’adolescents en âge d’être scolarisés. D’une manière générale, les éducateurs latino-américains estiment remplir correctement leur mission de préparation des jeunes aux marchés du travail, tandis que les employeurs déplorent l’absence de compétences sociales et émotionnelles chez les recrues potentielles.

Cela tient en grande partie à la priorité accordée au développement cognitif. Les enseignants ne consacrent que très peu de temps à l’acquisition de compétences sociales. Dans la plupart des cas, ils ne sont pas formés à cela et ne savent pas aborder le contrôle des émotions — une tâche encore plus ardue dans les régions pauvres où la violence sociale est très élevée.



« Plusieurs études montrent que l’acquisition des compétences sociales et émotionnelles [améliore] les chances de s’extraire de la pauvreté puisqu’[elle permet] à un individu de décrocher un emploi de meilleure qualité, de le conserver et d’avoir une meilleure productivité. Les compétences sociales et émotionnelles permettent de nouer des relations plus saines avec les membres de sa famille, le reste de la société et la communauté. »

Ines Kudo

Spécialiste senior de l’éducation, Banque mondiale


Le coût de l’absence de compétences sociales

Un enfant qui n’a pas acquis de compétences sociales et émotionnelles ne parviendra pas, une fois adulte, à contrôler des sentiments comme la frustration ou la colère, et aura donc plus de chances de réagir de manière inappropriée et impulsive.

Selon les spécialistes, il aura par conséquent du mal à respecter un planning, avoir de bons rapports avec ses collègues, négocier en cas de conflit ou s’adapter au changement. Souvent, une telle personne ne parvient pas à conserver longtemps son emploi, ce qui, en plus de rejaillir sur sa situation personnelle, peut entraver le développement de toute la société.

« Plusieurs études montrent que l’acquisition des compétences sociales et affectives est un atout indispensable dans la vie. Souvent, ces compétences améliorent les chances de s’extraire de la pauvreté puisqu’elles permettent à un individu de décrocher un emploi de meilleure qualité, de le conserver et d’avoir une meilleure productivité. Les compétences sociales et émotionnelles permettent de nouer des relations plus saines avec les membres de sa famille, le reste de la société et la communauté », analyse Inés Kudo, spécialiste de l’éducation à la Banque mondiale.

Les initiatives engagées en Amérique latine

Au Pérou, un projet pilote (a) de la Banque mondiale aide les enseignants à promouvoir l’acquisition de ce type de compétences. Beatriz Montañez, enseignante dans une école publique, s’est dite « particulièrement marquée par la session consacrée aux objectifs de court et long terme, qui revêtait une importance capitale pour les élèves, puisque les quatrième et cinquième années du secondaire correspondent au moment où ils explorent leurs possibles orientations professionnelles. »

D’autres expériences, comme celle menée en Jamaïque, ont montré l’importance du jeu dans l’épanouissement de l’individu. Certains pays sont allés encore plus loin : en Colombie par exemple, l’« initiative pour des classes pacifiées » s’attache à réduire la violence à l’école en améliorant les relations interpersonnelles entre élèves et membres de la communauté. Au Brésil, le « projet pour les écoles de demain » recourt à des techniques éducatives innovantes pour lutter contre la violence, en particulier dans les bidonvilles de Rio de Janeiro.

Former la main-d’œuvre en Amérique latine est une entreprise de longue haleine. Aristote avait bien perçu l’importance des compétences sociales et émotionnelles, qui disait : « Éduquer l’esprit sans éduquer le cœur n’est pas éduquer ».


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