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La pollution toxique : décryptage avec Richard Fuller

21 avril 2015

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Deux fillettes dans un ancien marais à Agbogbloshie, près d’Accra (Ghana), transformé en décharge à ciel ouvert où l’on brûle les déchets.

Photo: Pure Earth

Richard Fuller est le président de Pure Earth, qui assure le secrétariat de la Global Alliance on Health and Pollution (GAHP) (a). Institut sans but lucratif, Pure Earth œuvre à la décontamination de sites dans les communautés les plus démunies des pays à revenu faible et intermédiaire, où les concentrations importantes de toxines ont des effets désastreux sur la santé. Le consortium GAHP, qui contribue à mettre des moyens techniques et financiers à la disposition des gouvernements et des communautés pour réduire les conséquences sanitaires de la pollution dans les pays à revenu faible et intermédiaire, a vocation à sensibiliser les gens à toutes les formes de pollution toxique.

1) Qu’entend-on par « pollution toxique » ?

Richard Fuller (RF) : l’expression « pollution toxique » désigne une eau, un sol ou un air contaminé, qui devient de ce fait nuisible ou délétère. Cela recouvre les rejets industriels (métaux lourds des mines ou produits chimiques des usines) ainsi que les égouts et les particules provenant des centrales électriques. L’adjectif « toxique » permet de différencier cette pollution de celle découlant d’une hausse des niveaux de dioxyde de carbone, à l’origine du changement climatique mais sans effets directs sur la santé.

Des polluants toxiques peuvent empoisonner l’eau potable, le poisson des cours d’eau et des étangs, les plantes cultivées sur des terres contaminées mais aussi les aires de jeux, les lieux d’habitation et l’air que nous respirons. Le fait de vivre sur un site pollué vous expose à ces poisons à chaque fois que vous mangez, buvez, respirez, jouez ou faites votre toilette.

La pollution toxique est la première cause de mortalité dans le monde (a) et pourtant, c’est l’un des enjeux d’envergure internationale les moins bien étudiés et financés.

2) Comment la pollution toxique affecte-t-elle la santé publique ?

RF : la pollution a de nombreuses formes et peut rejaillir sur la santé humaine de multiples façons, parfois d’une manière qui n’est pas immédiatement perceptible. C’est pourquoi certains parlent de « tueur invisible » à propos de la pollution toxique.

Il arrive souvent que l’on attribue à une autre cause une maladie engendrée par l’exposition à la pollution toxique. Et dans bien des cas, le poison s’accumule et entraîne des lésions corporelles que l’on mettra des années à déceler. Les femmes et les enfants sont particulièrement exposés.

La pollution peut entraîner des malformations congénitales, des retards de développement et des troubles neurologiques irréversibles, sans parler des atteintes au système immunitaire. Elle est notamment responsable de nombreux cancers et de maladies cardiaques et pulmonaires. Comparativement, c’est une cause de mortalité bien plus importante que n’importe quelle autre. Elle touche souvent des communautés entières et freine la croissance économique en plus de dégrader les ressources naturelles et humaines.

3) Combien de personnes sont victimes de la pollution toxique ? Quelles sont les régions du monde les plus touchées ?

RF : on estime que plus d’un décès sur sept dans le monde est lié à la pollution. Pour ne parler que des sites contaminés, la pollution toxique détériore la santé de plus de 200 millions d’êtres humains. La pollution atmosphérique en ville touche un nombre encore plus élevé de personnes. Globalement, la pollution tue trois fois plus (pdf) (a) de gens que le VIH, le paludisme et la tuberculose réunis.

L’essentiel de son impact concerne les pays à revenu faible et intermédiaire : en 2012, l’exposition à un sol, une eau et un air pollués (à l’intérieur et à l’extérieur) y a provoqué 8,4 millions de décès. Cela représente 94 % de la charge de morbidité induite par la pollution, alors même que les pays les plus touchés sont eux aussi les moins bien équipés pour s’atteler à ce problème. Les pauvres empoisonnés (pdf) (a) n’ont pas les moyens de partir ou de décontaminer leurs lieux de vie, de sorte qu’ils paient un tribut sanitaire particulièrement lourd.

4) D’où provient la pollution des sites les plus contaminés et où va-t-elle ?

RF : dans la majorité des cas, les sites hautement toxiques le deviennent à cause de petites entreprises locales qui opèrent sans avoir accès aux technologies ni aux connaissances permettant d’éviter la pollution ou qui ne bénéficient pas d’incitations pour respecter l’environnement. Les sites abandonnés — anciennes usines polluantes qui ont mis la clé sous la porte — sont aussi assez fréquents. Et si les sources de la pollution ont disparu, la contamination perdure. On parle alors de pollution « historique ».

Le recyclage des anciennes batteries au plomb est l’une des pires causes de la pollution toxique. C’est une activité que l’on retrouve dans pratiquement toutes les villes des pays à revenu faible et intermédiaire, qui constitue une source cruciale de revenu pour les familles, qui les ouvrent sans protection, dans leurs cuisines ou dans leurs cours. D’où notre conviction que le plomb toxique est la menace environnementale numéro 1 pour la santé des enfants dans le monde (a).

L’exploitation artisanale de l’or constitue une autre grande source de pollution toxique, à cause de l’emploi du mercure. Cette activité serait à l’origine du rejet de quelque 1 000 tonnes de mercure toxique par an, soit 30 % environ des émissions mondiales de mercure. Or, un quart au moins de l’or commercialisé dans le monde est extrait dans des mines artisanales. Près de 15 millions d’orpailleurs, dont 4,5 millions de femmes et 600 000 enfants, sont empoisonnés par un contact direct avec le mercure. Sans compter que ce métal se répand dans les cours d’eau et dans l’air, se bioaccumule dans la chaîne alimentaire et contamine ainsi tous les produits de la mer.



« La pollution toxique est la première cause de mortalité dans le monde. Or, c’est l’un des enjeux d’envergure internationale les moins bien étudiés et financés.  »
Richard Fuller

Richard Fuller

Président de Pure Earth

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Nettoyage d’un site toxique dans le Somaliland.

Photo: Pure Earth

5) Quelles sont les solutions pour se débarrasser de la pollution toxique ? Et où ont-elles fait leurs preuves ?

RF : la bonne nouvelle, c’est que la pollution toxique est un problème mondial auquel nous pouvons remédier en une génération, parce que nous avons les solutions. L’expertise et le savoir-faire sont là. Bon nombre de pays industrialisés ont déjà décontaminé les sites les plus polluants. Il s’agit juste de transférer cette expertise aux pays pauvres et de la partager avec eux. Mais il faut aussi les aider financièrement. Sachant, qu’en général, les solutions peuvent être appliquées dans les pays à revenu faible et intermédiaire pour un coût nettement inférieur à celui qui incombe aux pays occidentaux, aux prises avec l’héritage de l’industrialisation.

En Indonésie, la GAHP a participé à la décontamination d’un terrain de foot pollué au plomb (a) grâce à la technique du piégeage (encapsulation) — une méthode approuvée par l’Agence de protection environnementale des États-Unis qui permet d’enfermer les éléments toxiques dans un récipient étanchéifié par une double géomembrane, qui est ensuite recouvert d’argile et d’une épaisse couche de calcaire. Le sol contaminé est enterré in situ mais il ne présente plus aucun risque sanitaire. L’opération aura coûté moins de 10 dollars par habitant. Une technique similaire a permis de décontaminer un village entier au Viet Nam (a).

En Azerbaïdjan, la GAHP est en train de nettoyer une plage en remplaçant le sol contaminé par un remblai propre. Et à Maïlou-Sou (a), au Kirghizstan, elle a installé des filtres à eau dans les écoles et les hôpitaux pour protéger les habitants les plus fragiles, l’eau ayant été contaminée par des déchets d’uranium. Toutes ces opérations ont été menées conformément aux normes environnementales internationales ou américaines.

6) Que pouvons-nous faire pour lutter contre la pollution toxique ?

RF : il faut sensibiliser les gens, apprendre tout ce qui concerne ce phénomène et faire circuler l’information. La pollution ne se voit pas forcément et peut sembler lointaine, mais nous sommes tous concernés. C’est une question souvent négligée face aux enjeux de la biodiversité et du changement climatique. Nous devons revoir la manière dont la communauté internationale se saisit du problème.

7) Pourquoi la communauté internationale doit-elle s’intéresser à la pollution ?

RF : comme l’économie, les polluants se sont mondialisés. L’air contaminé d’un pays peut devenir une menace pour les pays voisins. Le mercure utilisé dans les mines d’or et les usines à charbon se retrouve dans le poisson et l’on a découvert des traces d’arsenic dans du riz et d’autres denrées alimentaires exportées dans le monde entier. Dans certains cas, les industries très polluantes se sont délocalisées dans des pays pauvres où les normes environnementales sont moins contraignantes et les technologies de gestion et de réhabilitation des produits chimiques moins répandues.

Nous sommes tous dans le même bateau. Nous devons donc agir en concertation. Les pays doivent collaborer les uns avec les autres. La communauté internationale doit s’engager et mobiliser des investissements pour combattre la pollution. En tant qu’alliance internationale pour aider les pays dans cette lutte, la GAHP est fière d’apporter sa pierre à l’édifice.



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