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L’Europe et les exclus du marché du travail : portraits

24 novembre 2014


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Photo par Scott Wallace, Banque mondiale


LES POINTS MARQUANTS
  • La diversité des profils démographiques des Européens sans emploi oblige à élaborer des politiques sociales et de l’emploi ciblées afin d’assurer leur insertion professionnelle.
  • La plupart des économies de l’Union européenne retrouvent des couleurs après la crise financière de 2008 mais des poches de chômage élevé et de longue durée perdurent, chez les jeunes en particulier.
  • Une nouvelle étude dresse le portrait de ces exclus du marché du travail dans six pays de l’Union (Bulgarie, Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie et Roumanie) avant d’offrir des recommandations pour démanteler les obstacles empêchant cette frange de la population d’accéder au marché de l’emploi ou de trouver un travail.

Qui sont les chômeurs et les inactifs en Europe ? Pourquoi ne travaillent-ils pas ? Quelles sont les facteurs expliquant ces longues périodes d’exclusion ? Quelles mesures prendre pour leur permettre de participer activement au marché du travail ?

Au sein de l’Union européenne (UE), les profils de ceux qui ne travaillent sont très divers : il peut s’agir d’hommes et de femmes d’âge moyen ayant perdu leur emploi, de jeunes adultes qui ne sont ni au travail ni en études, de chômeurs de longue durée, d’habitants des zones rurales, de jeunes retraités ou de mères de famille se consacrant à leurs enfants.

Pour bon nombre d’Européens, le chômage reste l’un des plus grands défis à relever. Dans le sillage de la crise financière de 2008, l’activité économique de l’UE s’est fortement tassée avec, en 2009, le plus fort recul du PIB enregistré depuis la création de l’Union. Si pratiquement tous les pays ont lentement renoué avec la croissance depuis, celle-ci est atone et le chômage reste élevé.

Face aux contraintes budgétaires de ces pays — et à leur évolution démographique, marquée par le vieillissement des populations — il faut parvenir à une connaissance plus fine du profil des Européens sans emploi afin de concevoir des politiques efficaces au service de marchés du travail plus inclusifs et moins restreints.

L’étude intitulée Portraits of Labor Market Exclusion (a), fruit d’une collaboration entre la Commission européenne et la Banque mondiale, entend justement dresser le portrait des personnes sans emploi en Bulgarie, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Lituanie et en Roumanie. S’appuyant sur les statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC) (a), le rapport propose une description approfondie du profil des sans-emploi parmi la population active européenne (groupe d’âge des 16-64 ans).

De nombreux pays sont confrontés au drame du chômage des jeunes. En Grèce par exemple, pratiquement 60 % des 15-24 ans étaient chômeurs en 2013 et les jeunes adultes continuent de vivre dans des ménages où cohabitent plusieurs générations en attendant de pouvoir accéder au marché du travail. Dans les six pays couverts par l’étude, le pourcentage des 15-24 ans qui ne sont ni au travail ni à l’école ni en formation (le fameux « taux de NEET » (a) selon l’acronyme anglais) a augmenté après la crise financière.

Dans plusieurs pays, plus de la moitié des chômeurs actuels sont en recherche d’emploi depuis plus de 12 mois. Le chômage de longue durée est une préoccupation majeure, parce qu’il grève lourdement le budget des ménages, entraîne une dégradation de l’état de santé des demandeurs d’emploi et abaisse le niveau global de compétences de la main-d’œuvre d’un pays, ce qui n’est pas sans conséquences graves pour la productivité. Sans compter que les personnes découragées par des périodes de chômage de très longue durée peuvent tout bonnement renoncer à chercher du travail.

Le nombre de personnes d’âge moyen ayant perdu leur travail est en hausse dans la plupart des pays étudiés et surtout en Lituanie, en Grèce et en Bulgarie. Les populations rurales sont particulièrement vulnérables. Ainsi en Lituanie, le nombre de ruraux pauvres d’âge moyen chômeurs de longue durée a été multiplié par plus de trois entre 2007 et 2011.

Dans les six pays couverts, le taux de participation des seniors en âge de travailler est l’un des plus faibles d’Europe. Les jeunes retraités font souvent état de capacités limitées de travail, de sorte que le départ en retraite ou l’invalidité expliquent en grande partie l’inactivité de ce groupe de population. Mais l’allongement de l’espérance de vie, conjugué à la baisse du nombre de personnes en âge de travailler, risque d’alourdir le coût budgétaire du vieillissement.

Si le taux d’inactivité des femmes en âge de travailler est un problème commun aux six pays, il touche surtout la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie et la Roumanie. Il convient dans certains pays de distinguer le cas des mères au foyer de celui des femmes inactives, le nombre élevé de celles-ci pouvant s’expliquer en partie par des raisons culturelles et sociales ou par une offre limitée de services de prise en charge des enfants et des personnes âgées.

En Estonie et en Hongrie, le pourcentage de femmes s’étant déclarées inactives en 2013 parce qu’elles s’occupaient de leurs enfants ou d’adultes en perte d’autonomie était de respectivement 73 et 56,5 %, soit des taux bien supérieurs à la moyenne de l’UE, qui se situait à 38,5 %.

La diversité des profils constatée par le rapport peut servir de point de départ à un dialogue approfondi sur les solutions visant à renforcer l’inclusion des marchés du travail. Une première étape consiste à évaluer la nécessité d’une vie active chez les personnes qui ne travaillent pas ainsi que leur potentiel.

Plus le risque de pauvreté est élevé, plus le besoin d’activité l’est aussi, sachant que le potentiel sera d’autant plus fort que l’inactif aura une expérience professionnelle préalable ou un bagage éducatif de qualité. De ce point de vue, les demandeurs d’emploi « prêts pour le marché » (il s’agit en général de chômeurs ayant une expérience professionnelle et/ou un certain niveau d’instruction) sont prioritaires. Les mesures « d’activation » peuvent comprendre la communication d’informations sur les postes à pourvoir, une assistance pour rechercher un emploi et postuler ou des services de recrutement et de placement assurés par des agences de l’emploi, publiques ou privées.

Les jeunes et les personnes ayant connu une longue période d’inactivité doivent également être traités en priorité. Mais étant donné les barrières qu’ils rencontrent pour accéder au marché du travail, il faudra des mesures d’activation plus soutenues, comme une assistance à la réinsertion professionnelle, à la formation et à la mobilité. Le chômage au début de la vie active ayant des conséquences négatives durables, les jeunes doivent bénéficier d’une attention particulière.

Le traitement des groupes constitués par les femmes inactives, les handicapés et les jeunes retraités doit également être spécifique, puisque ces personnes se heurtent à des barrières différentes, d’ordre social plutôt que liées au marché du travail proprement dit.

Les femmes inactives ont ainsi besoin de services de garde d’enfants à proximité de chez elles, d’une aide à la recherche d’emploi et d’horaires de travail flexibles. Une remise à plat des prestations pour invalidité pourrait endiguer le flot de bénéficiaires et, parallèlement, permettre de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie et des environnements professionnels adaptables.

Dans sa conclusion, le rapport préconise de poursuivre le dialogue sur les politiques publiques à mettre en œuvre autour de deux grands axes : le niveau de ressources allouées au marché du travail et l’amélioration des services à l’échelon local ou national. Des politiques sur mesure pour s’atteler à des problèmes et des obstacles spécifiques peuvent contribuer à mettre en place un marché du travail plus inclusif en Europe, et donner ainsi de l’espoir aux millions de jeunes gens qui démarrent leur vie professionnelle et sont impatients de jouer un rôle actif.




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