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Quarante ans de combat contre la cécité des rivières

03 juillet 2014


LES POINTS MARQUANTS
  • Créé il y a 40 ans, un partenariat rassemblant l’OMS, la Banque mondiale, les États africains, les entreprises pharmaceutiques et une trentaine de partenaires de développement protège chaque année 100 millions de personnes contre la cécité des rivières dans 31 pays africains
  • Deux facteurs expliquent l’extraordinaire succès du partenariat : la continuité des dons de médicaments du secteur privé et une démarche axée sur les populations locales consistant à distribuer des médicaments préventifs une ou deux fois par an
  • Le partenariat vise maintenant de nouveaux objectifs : éliminer complètement la maladie et appliquer les principes de la lutte contre l’onchocercose aux autres maladies évitables dont souffrent les populations pauvres

WASHINGTON, 23 juin 2014 — La cécité des rivières est une terrible maladie qui provoque une gêne intense chez les personnes infectées avant de les rendre aveugle. Les efforts déployés de façon concertée depuis 40 ans pour vaincre cette pathologie, connue aussi sous le nom scientifique d’« onchocercose », ont permis de réduire progressivement son incidence en Afrique.  

Les mouches qui transmettent l’onchocercose se reproduisant dans des cours d’eau agités, de vastes étendues de terres fertiles africaines, arrosées par des rivières ou des fleuves tels que la Volta étaient, du fait de cette maladie, impropres à l’agriculture dans les années 60. Aujourd’hui, en revanche, la maladie a disparu sur une superficie de 25 millions d’hectares de terres. Ainsi, les familles qui vivaient dans les zones contaminées ont pu revenir exploiter ces terres arables jadis abandonnées.

Sur les 31 pays africains où l’onchocercose sévit de façon endémique, 28 ont atteint le stade où leurs habitants ne sont plus affectés par la maladie. Cette victoire a été rendue possible par un médicament miraculeux qui protège 100 millions d’êtres humains sur de vastes territoires du continent africain : l’ivermectine.

1952 : « Le pays des aveugles »

Lady Jean Wilson, épouse de Sir John Wilson, ancien directeur de l’organisation britannique Sightsavers, dit avoir eu le sentiment de voyager dans un silencieux « pays des aveugles » durant une visite dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest il y a près de soixante ans : les enfants guidaient les hommes aveugles, tandis que les non-voyantes cherchaient leur chemin à l’aide d’une corde.

En 1952, année durant laquelle le couple Wilson se rendit d’Accra, capitale du Ghana, aux abords du fleuve Volta, la cécité des rivières était si tragiquement répandue que les populations locales avaient abandonné des centaines de villages par crainte d’être frappées par cette maladie tant redoutée. Les conséquences sur les populations démunis dépendant de la terre pour survivre étaient désastreuses.

Lady Wilson inventa alors l’expression « cécité des rivières » pour mieux faire connaître cette maladie ainsi que son mode de propagation parmi les populations vulnérables. La création de ce terme était une avancée en soi, facilitant la sensibilisation de l’opinion publique et la coordination qui se révéleront nécessaires pour endiguer le fléau en Afrique.

1974 : Une action « incroyablement audacieuse »

Lancé en 1974, le premier projet de la Banque mondiale dans le domaine de la santé était consacré à la lutte contre la cécité des rivières, une des maladies tropicales négligées (MTN) invalidantes. Cette initiative illustrait l’existence, évoquée par l’ancien président de la Banque mondiale Robert  McNamara, d’un lien cruel entre pauvreté et maladie mais aussi d’une relation entre maladie et développement.

Lors de la célébration du 40e anniversaire de l’initiative, à Washington, Mme Diana McNamara  a indiqué que son défunt mari avait été heureux d’avoir contribué au projet et avait été profondément marqué par les scènes de maladie et de pauvreté auxquelles il avait assisté durant sa visite en Haute-Volta (aujourd’hui le Burkina Faso).

Le Programme de lutte contre l’onchocercose (OCP) lancé il y a quarante ans s’est concentré au départ sur la pulvérisation de larvicides dans de vastes zones situées dans onze pays.

Selon Tim Evans, directeur du département Santé, nutrition et population du Groupe de la Banque mondiale, les opérations de pulvérisation aérienne par hélicoptère effectuées dans le cadre de l’OCP étaient, non pas une perte de temps comme certains le prétendaient, mais un premier pas important. À son avis, l’action du partenariat contre la cécité des rivières était « incroyablement audacieuse » à l’époque.

1988 : « Une intervention qui change la donne »

La pulvérisation de larvicides était efficace mais coûteuse et l’on observait de surcroît les signes d’un début de résistance au traitement : de toute évidence, il fallait trouver une autre solution, plus durable.

Les essais réalisés dans les années 80 avec l’ivermectine (ou « Mectizan » dans sa dénomination commerciale) ont montré que ce médicament pouvait prévenir la cécité des rivières. En 1988, Roy Vagelos, alors directeur général de la compagnie pharmaceutique Merck & Co. et membre de l’équipe de scientifiques ayant mis au point le médicament, a promis que son entreprise fournirait gratuitement autant de Mectizan que nécessaire aux pays africains pour leur permettre d’endiguer l’onchocercose.

En évoquant ces quarante années de partenariat, le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a fait remarquer que Merck et tous les autres partenaires avaient changé la donne en décidant de distribuer gratuitement  l’ivermectine aussi longtemps que nécessaire en Afrique à une époque où les ressources consacrées aux questions de santé à l’échelle mondiale étaient rares.

Geralyn Ritter, vice-présidente senior chargée de la division Global Public Policy and Corporate Responsibility chez Merck, a réaffirmé l’engagement pris par M. Vagelos en 1988 de fournir gratuitement autant de Mectizan que nécessaire, aussi longtemps que nécessaire et partout où cela sera nécessaire.

« Vingt-sept ans après, c’est exactement ce que nous faisons », constate Mme Ritter.

1995 : Création de l’APOC, un autre « dividende de la paix »

Créé en 1995, le Programme africain de lutte contre l’onchocercose (APOC) commença par distribuer le Mectizan dans 19 pays. Il est mis en œuvre par l’OMS avec la participation de la Banque mondiale pour ce qui est de la gestion budgétaire et avec le précieux soutien des ministres africains de la Santé, du secteur privé, de bailleurs de fonds et d’ONG.

La princesse Alexandra, présidente de Sightsavers, a évoqué les milliers de bénévoles locaux qui, en Afrique, travaillent avec les ministères de la Santé, l’APOC et les organisations non gouvernementales pour distribuer le Mectizan dans leurs localités. 

La princesse a souligné que la participation des volontaires qui unissent leurs forces pour vaincre la maladie était essentielle à la mise en œuvre des programmes de lutte contre la cécité des rivières.

Comme l’a fait remarquer Jim Yong Kim, l’action menée par l’APOC pour endiguer l’onchocercose a souvent été un des « dividendes de la paix » perçus par de nombreux pays, tels que le Libéria et la Sierra Leone, à la fin de longs conflits. Au demeurant, ajoute le président de la Banque mondiale, les seuls pays africains dans lesquels l’onchocercose entraîne encore la cécité sont ceux où les conflits persistent.

2014 : l’APOC se fixe de nouveaux objectifs

Luis Sambo, directeur régional pour l’Afrique à l’OMS, a observé que l’APOC, créé à l’origine pour endiguer la cécité des rivières, cherchait maintenant à l’éliminer complètement en Afrique. Quarante-sept ministres de la Santé d’Afrique subsaharienne ont récemment convenu d’élargir la mission de l’APOC durant la période 2016-2020.

La méthode de l’APOC, axée sur les populations locales, peut être appliquée à la lutte contre d’autres MTN évitables — notamment l’éléphantiasis, mais aussi la bilharziose, le trachome et les parasitoses intestinales. Les compagnies pharmaceutiques ont d’ailleurs accepté de fournir gratuitement des médicaments préventifs pour combattre toutes ces maladies.

M. Sambo a précisé toutefois qu’il s’agissait d’une démarche complexe exigeant un argumentaire justifiant les investissements et l’organisation d’une conférence d’annonce de contributions visant à mettre en place un solide mécanisme de soutien. Il a aussi précisé que le soutien des gouvernements africains et de l’ensemble des partenaires permettrait de passer des promesses à l’action concrète.

« Je pense que cette initiative est socialement équitable, techniquement réalisable, financièrement viable et politiquement souhaitable », a-t-il ajouté.

L’engagement du Groupe de la Banque mondiale

En qualité de doyen du Conseil des administrateurs du Groupe de la Banque mondiale et d’administrateur représentant le Koweït, Merza Hasan souscrit au modèle appliqué avec succès par l’APOC dans la lutte contre la cécité des rivières et appelle à un engagement soutenu en faveur du traitement des MTN. « Terminons le travail que nous avons commencé : nous n’en sommes pas loin », a-t-il dit.

Makhtar Diop, vice-président pour l’Afrique à la Banque mondiale, a observé que la Banque, en plus de soutenir l’APOC, aide les pays africains à lutter contre les MTN en engageant des ressources financières d’un montant proche de 120 millions de dollars cette année.

« Comme vous le savez, notre soutien tient au fait que ces maladies sont étroitement liées à l’extrême pauvreté et à la diminution de la productivité », a expliqué M. Diop en précisant que la Banque avait l’intention de participer au combat contre les MTN dans le Sahel.

Selon une étude de Summers et al publiée dans la revue Lancet, l’amélioration des résultats en matière de santé en 2000-2011 dans les pays en développement était à l’origine de 24 % de l’« augmentation du revenu intégral » enregistrée durant la même période. Le concept de progression du revenu intégral combine la valeur monétaire de la variation de l’espérance de vie et la variation de la croissance du PIB.

« Nous savons que le fait d’investir dans la santé n’est pas seulement un devoir moral : c’est aussi la meilleure chose à faire pour stimuler la croissance économique », a souligné le président Kim à propos de cette étude.

« Au moment où nous nous interrogeons sur la voie à suivre dans la lutte contre les maladies tropicales négligées, nous devons garder à l’esprit que ces maladies sont aussi celles qui touchent les populations négligées », a-t-il conclu.




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