Emploi et confiance en soi
Une fois recrutés, ces jeunes gens se voient confier la fonction de « brigadier de salubrité » (tous les jeunes âgés de 18 à 30 ans sont éligibles). Afin que le processus soit équitable, les jeunes sont recrutés par tirage au sort. Le programme est si populaire que certains jeunes confient prier toute la nuit pour que leur nom soit tiré.
« Alors que la Côte d’Ivoire se relève d’une décennie de conflits politiques, économiques et sociaux, s’attaquer au défi de l’emploi des jeunes est devenu une priorité », souligne Hamoud Abdel Wedoud Kamil, spécialiste principal en éducation à la Banque mondiale, chef du Projet emploi jeune et développement des compétences (PEJEDEC). « L’un des principaux objectifs de ce programme est de procurer aux participants de nouvelles compétences afin de les aider à trouver un emploi durable, améliorer leurs perspectives salariales ou même, dans certains cas, de leur donner les ressources nécessaires pour créer leurs propres entreprises », ajoute-t-il.
Outre le fait qu’il garantisse aux personnes embauchées six mois de revenus consécutifs, les jeunes recevant un salaire mensuel de 60 0000 FCFA (soit environ 124 dollars), le volet "Travaux à haute intensité de main d'oeuvre" (THIMO) du PEJEDEC offre bien d’autres avantages. Par exemple, les jeunes recrutés bénéficient d’une session de sensibilisation à des thématiques telles que le civisme et la citoyenneté, le VIH-SIDA, ou encore l’environnement et l’hygiène publique. Certains brigadiers reçoivent également une formation sur la recherche d’emploi et des informations sur les opportunités d’emplois salariés alors que d’autres suivent des cours en entrepreneuriat visant à les aider à monter leur petite entreprise, une fois le programme terminé.
Kamate Vazoumama, jeune brigadier dans la commune de Koumassi, à Abidjan, confie être désormais plus sensible à la question des déchets urbains: « Avant, j’avais l’habitude de jeter mes déchets dans la rue. Je ne fais plus du tout ça aujourd’hui ». Quant à Prince Brokou, il a non seulement découvert l’esprit d’équipe mais a bâti sa confiance en soi : « Vis-à-vis de ma famille, je me sentais totalement inutile et je ne savais pas quoi faire de ma vie. Je me demandais souvent « Suis-je idiot ? Aujourd’hui, je sais que je ne suis pas idiot mais que je manquais juste de moyens pour monter un projet », assure-t-il.
Un tremplin vers un emploi durable ?
Par ailleurs, une évaluation d’impact est menée par le PEJEDEC, en partenariat avec la Banque mondiale, avec l’appui de l’École nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (ENSEA), l’objectif étant de comparer les perspectives des jeunes qui ont bénéficié du programme par rapport à celles de ceux qui n’ont pas été recrutés. Les jeunes sont sondés au cours de la seconde phase de recrutement ainsi que six mois après le début d’une session de recrutement. Une troisième enquête sera menée environ six mois après la fin de leur contrat afin d’évaluer l’impact du programme à plus long terme et déterminer notamment si ce programme facilite véritablement la transition vers un emploi durable.
« L'évaluation d'impact, dans le cadre des THIMO, va permettre d'apprécier l'impact réel de ce programme sur l’employabilité des jeunes. Elle permettra à l'État de Côte d'Ivoire, qui a fait du THIMO l’un des piliers de sa nouvelle stratégie de relance de l'emploi, de faire les ajustements nécessaires en fonction des objectifs et résultats attendus », souligne Adama Bamba, le Coordonnateur de l’Unité de Coordination des Programmes Emploi (UCPE) et du PEJEDEC.
« Si l’objectif principal d’un tel programme est de créer des emplois temporaires, théoriquement, il peut également permettre aux jeunes bénéficiaires d’épargner davantage mais aussi d'acquérir de nouveaux actifs économiques, ou encore entraîner une réduction des comportements violents ou nuisibles » ajoute Alicia Marguerie, économiste au PEJEDEC, en charge de coordonner l’évaluation d’impact.
Dans un rapport intitulé « L’emploi des jeunes en Afrique subsaharienne », la Banque mondiale soulignait qu’onze millions de jeunes vont faire chaque année leur entrée sur le marché du travail au cours de la prochaine décennie. Améliorer les perspectives d’emploi des jeunes Africains figure donc au rang des priorités des pouvoirs publics. Le rapport souligne ainsi la nécessité de mesurer l’impact des programmes d’emploi visant les jeunes afin d’encourager l’adoption de politiques d’emploi efficaces.
« Les résultats de l’évaluation d’impact du PEJEDEC intéresseront non seulement les dirigeants politiques en Côte d’ivoire mais aussi ailleurs en Afrique. Cette étude permettra en effet de déterminer quels sont les programmes qui parviennent le mieux à faciliter la transition des jeunes vers des emplois durables », souligne Patrick Premand, économiste à la Banque mondiale. « D’autres évaluations similaires sont d’ailleurs en cours dans la région, comme par exemple au Bénin ou au Nigéria », précise-t-il.
En Côte d’Ivoire, grâce à ce projet, 12 500 jeunes Ivoiriens auront en tous les cas bénéficié d’une première opportunité d’emploi et peuvent désormais songer à un avenir meilleur. Prince Brokou, le jeune homme originaire de la commune de Yopougon, voit quant à lui les choses en grand : grâce à son salaire de brigadier de salubrité, il a commencé à acquérir le matériel nécessaire pour ouvrir un pressing et se mettre ainsi à son compte.