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La pérennité financière de l'enseignement supérieur au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

20 octobre 2011


Entretien avec Adriana Jaramillo, spécialiste senior de l’éducation à la Banque mondiale

1. Quelles relations l’enseignement supérieur entretient-il avec le développement ?

Les relations entre l’enseignement supérieur et le développement sont très étroites. Les universités sont des acteurs essentiels pour créer de nouveaux savoirs ou développer de nouvelles compétences et, à ce titre, elles contribuent directement à la croissance économique et à la productivité. Non seulement ces établissements génèrent les connaissances pratiques et théoriques indispensables pour assurer la croissance, mais ils sont au cœur même de l’avènement de sociétés démocratiques.

2. Quels sont les taux d’investissement des pays de la région MENA dans l’enseignement supérieur ? Ont-ils donné des résultats satisfaisants ?

Les pays de la région MENA investissent relativement lourdement dans l’enseignement supérieur. Une comparaison des niveaux d’investissement par rapport au PIB par habitant montre qu’ils dépensent même plus qu’un pays de l’OCDE moyen. Mais quand on se penche sur leurs résultats, ceux-ci sont quelque peu décevants : de nombreux éléments prouvent que les systèmes universitaires de la région MENA ne donnent pas aux diplômés les compétences requises pour une insertion réussie dans le marché actuel du travail.

3. Quelle réponse les systèmes d’enseignement supérieur de la région doivent-ils apporter aux attentes du printemps arabe ?

Ces systèmes sont soumis à une pression intense actuellement, du fait justement des défis soulevés par le printemps arabe. L’une des grandes interrogations — et des principales attentes des jeunes des pays arabes et de ce mouvement — concerne justement l’éducation : comment accéder à une éducation de qualité et obtenir un emploi de qualité ? Les universités doivent réagir pour satisfaire cette demande absolument cruciale et permettre aux jeunes d’acquérir les compétences adaptées au marché du travail aujourd’hui.

4. Quels sont les taux de participation des femmes dans l’enseignement supérieur dans la région pays MENA ? Se traduisent-ils par des avancées en termes sociaux et économiques ?

La région MENA obtient d’excellents résultats pour ce qui est de l’augmentation de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur. Ces dernières sont plus nombreuses que les hommes à fréquenter les universités. Dans les pays du Golfe, 60 % des étudiants sont des étudiantes. Depuis dix ans, des progrès remarquables ont été obtenus pour favoriser la participation des femmes à l’enseignement supérieur dans la région. Mais regardons par exemple les taux d’emploi : celui des femmes ne sera pas forcément équivalent à celui des hommes et les emplois qu’elles occuperont ne seront pas forcément les mêmes. Les avancées sociales et économiques pour les femmes qui devraient découler de l’essor de leur place dans l’enseignement supérieur ne se sont pas encore matérialisées. La parité entre les sexes pour des indicateurs sociaux fondamentaux, comme l’emploi, semble encore un objectif lointain.

5. Quelles sont les projections d’inscriptions dans l’enseignement supérieur dans la région MENA ? Si nécessaire, la région pourra-t-elle supporter le coût de son développement ?

Depuis dix ans, les inscriptions dans le supérieur progressent à un rythme soutenu. D’après les projections, cette tendance devrait se maintenir à ce niveau au cours des dix prochaines années. On peut donc s’attendre à une augmentation de 50 % des effectifs en dix ans. De leur côté, les dépenses publiques consacrées à l’enseignement supérieur n’ont pas progressé à la même cadence. Les États manquent aujourd’hui de moyens et auront beaucoup de mal dans les années à venir à satisfaire les attentes de la société alors que leurs budgets seront de plus en plus contraints. Les systèmes d’enseignement supérieur devront donc trouver de nouvelles sources de financement. Les augmentations d’impôts semblent largement exclues. Il faudra donc passer en revue les dépenses pour voir comment optimiser l’utilisation des ressources existantes. Il faut aussi réfléchir au partage des coûts. Globalement, l’enseignement supérieur offre de bons retours sur investissement et il faut donc mettre à contribution les familles et les étudiants. Pour atténuer les éventuelles inégalités engendrées par cette politique, elle doit aller de pair avec des subventions et des prêts aux étudiants. De cette façon, les étudiants doués mais aux moyens limités ne seraient plus bloqués à l’entrée à l’université par des raisons économiques.

6. L’accès à l’enseignement supérieur est-il l’objectif ultime des futures politiques de développement pour l’éducation ou bien d’autres considérations lui font-elles concurrence ?

La question mérite d’être posée parce que si l’accès est un objectif important, il ne peut se faire au détriment de la qualité. Vous ne pouvez tout simplement pas satisfaire les attentes de la société — et des jeunes — si vous vous contentez d’élargir l’accès à des services médiocres. C’est pourtant ce qui s’est passé, plus ou moins, depuis dix ans. Dès lors, plusieurs objectifs concurrents apparaissent : comment élargir l’accès tout en répondant aux critères de qualité attendus par la société et imposés par le monde du travail ? Comment remédier aux problèmes d’équité ? Comment faire en sorte que celles et ceux qui méritent de poursuivre des études supérieures ont les moyens et la possibilité de le faire ? Pour les décideurs, toute la difficulté consiste à trouver un juste équilibre entre quatre impératifs concurrents : accès, qualité, pertinence et équité. Chaque pays ayant ses propres priorités, les décideurs doivent identifier très clairement les objectifs de l’action publique. Pour chacun d’entre eux, les stratégies à déployer et les possibilités de financement diffèrent. Il faut opter pour une approche équilibrée. Notre rapport revient sur certaines options envisageables. Reste à chaque pays la responsabilité de décider du choix de ces options pour atteindre ses objectifs économiques et sociaux particuliers.

7. Quel rôle l’enseignement supérieur privé joue-t-il actuellement dans les pays de la région MENA ? Est-il appelé à se développer ?

L’offre privée d’études supérieures reste limitée dans la région, sauf au Liban où la plupart des universités sont privées. Mais ce pays fait exception. Partout ailleurs, la plupart des systèmes d’enseignement supérieur sont publics, même si l’on observe une tendance à se tourner vers le privé. De nombreux pays MENA intègrent l’enseignement dans leurs stratégies de développement du secteur privé afin d’améliorer l’accès, quand d’autres ont investi dans l’enseignement privé pour améliorer la qualité. Si nous nous basons sur ce qui s’est passé ces cinq dernières années, on voit que la scolarisation dans le privé ces dix prochaines années augmentera à un rythme bien plus soutenu que depuis le début du siècle.

8. Quels sont les modèles disponibles pour augmenter le financement privé de l’enseignement supérieur sans alourdir la charge pesant sur les budgets des étudiants ? Sont-ils adaptés à la région MENA ?

Excellente question ! Nous nous sommes intéressés aux modèles en vigueur aux États-Unis par exemple, où le financement philanthropique joue un rôle considérable pour les établissements privés et, de plus en plus, pour les établissements publics. Même l’Europe, ébranlée par la crise financière, se tourne vers le modèle américain. Un des clients de la Banque mondiale, l’Arabie saoudite, nous a demandé de lui révéler les « secrets » entourant les dotations des universités américaines privées. Les collectes de fonds ont réussi aux États-Unis et nous pensons qu’il pourrait en aller de même dans la région MENA. Concevoir et gérer un tel modèle ne va cependant pas sans difficultés. Il faut instaurer une culture philanthropique et disposer des compétences financières pour gérer les fonds à long terme. La diaspora des pays MENA contribue de manière très sensible à l’économie de la région et nous pensons qu’elle pourrait jouer un rôle pour augmenter les dotations aux établissements supérieurs de la région. Une fois obtenus, les fonds doivent être placés et gérés dans une perspective de long terme. C’est là une option exigeante, difficile et qui prend du temps, mais qui vaut la peine d’être étudiée.


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