ARTICLE

Après le tsunami : les femmes et la réforme foncière à Aceh

01 avril 2011

Avril 2011 | Keith Clifford Bell, Département du développement durable, Banque mondiale.

L’acquisition de terres et de droits de propriété a permis aux femmes d’apporter une contribution positive aux efforts de redressement et de reconstruction déployés au lendemain de la catastrophe.

Le lendemain de Noël 2004, un tremblement de terre de magnitude 9,3 frappe l’océan Indien, dégageant une gigantesque force et provoquant un tsunami d’une hauteur comparable à celle d’un édifice de trois étages. Cette catastrophe a fait plus de 228 000 victimes, touché 2,5 millions autres individus, causant des dégâts à hauteur de quelque 11,4 milliards de dollars dans 14 pays. La ville d’Aceh aura payé de loin le plus lourd tribut, perdant plus de personnes que tous les autres pays réunis. À Banda Aceh, la capitale provinciale, le tsunami a décimé près d’un tiers de la population. Un bande côtière longue de plus de 800 km a été ravagée par la catastrophe et environ 53 795 parcelles ont été détruites. Les dossiers de propriété foncière ayant été emportés par les eaux, le système d’administration foncière en a été fortement ébranlé. Les points de repère physiques tels que les arbres et les clôtures ont aussi disparu. Le tsunami et le séisme n’ont pas que détruit des habitations et autres infrastructures côtières, ils ont aussi secoué les assises sur lesquelles reposait la société acehenne ainsi que le capital social constitué au fil des décennies.

La force des femmes face à la catastrophe

Le tsunami a arraché à de nombreuses femmes les filets de protection dont elles bénéficiaient auprès de leurs familles, en particulier les conjoints ou les parents. Dans une société où l’homme est encore considéré comme le chef de famille, cette réalité nouvelle a rajouté une couche supplémentaire au fardeau de beaucoup de gens. À Aceh, la terre est un puissant symbole de solidarité communautaire et familiale ; et les questions foncières ont toujours été considérées comme relevant des prérogatives « naturelles » des hommes. Après le tsunami, les femmes étaient non seulement sur le point de perdre leurs propriétés, leurs actifs et leurs moyens de subsistance, mais aussi, pour certaines, en passe de perdre la reconnaissance sociale et le statut qui étaient les leurs au sein de la société.

Cette catastrophe a toutefois contribué aussi à créer des opportunités de réorganiser l’environnement social et physique. Des changements entre hommes et femmes qui, par le passé, n’auraient pas été possibles, ont soudain vu le jour, et les femmes ont fait montre d’un dynamisme remarquable dans le processus de redressement et de reconstruction. Elles ont assumé des rôles de direction et appris à mieux faire entendre leurs voix après la catastrophe, toutefois dans une démarche dénudée de tout esprit de confrontation.

Les femmes ont aussi aidé à rétablir l’ordre et la normalité dans les familles et les communautés, en protégeant les terres familiales et les droits de propriété. Dans bien des cas, elles ont assumé des responsabilités de premier ordre dans la création de revenu, la gestion des ressources familiales et l’éducation de la famille. En outre, elles ont joué un rôle important en faisant connaître les revendications liées à la récupération des terres et des droits de propriété, et en contribuant à renforcer le programme social pour le droit de propriété.

Renforcer le pouvoir d’intervention des femmes par le biais de l’attribution de titres de propriété

Le projet intitulé Reconstruction of Aceh Land Administration System (Rétablissement du système d’administration foncière d’Aceh - RALAS) a été conçu par la Banque mondiale, le Fonds fiduciaire multilatéral pour Aceh et le nord Sumatra en tant que projet d’intervention d’urgence en réponse à la nécessité de reconstruire les logements et réinstaller les populations de la région. Premier projet de la Banque mondiale à appuyer les efforts de reconstruction après un tsunami, RALAS comprenait dans sa conception un processus de décision d’attribution de titres fonciers piloté par les populations locales, ce qui faisait intervenir la société civile pour faciliter l’établissement de cartes du domaine foncier communautaire. Le règlement des différents et la protection sociale des femmes et des groupes vulnérables ont eu pour sources d’inspiration l’interprétation locale de la loi islamique et les pratiques traditionnelles du adat.

Les financements octroyés au Plan d’action pour la parité hommes-femmes (GAP) ont permis à l’équipe d’en savoir davantage sur les efforts déployés dans le cadre du projet RALAS pour accroître l’accès des femmes à la terre et améliorer leurs droits de propriété. L’étude s’est attachée à déterminer ce qui a marché en termes d’élargissement de l’accès des femmes à la terre, dépassant le stade de la pure procédure pour comprendre les contraintes socioculturelles qui s’opposent aux femmes à Aceh. Elle s’est appliquée à comprendre dans quelle mesure les activités et les résultats du projet peuvent être pérennisées et reproduites, proposant des recommandations applicables à d’autres situations d’intervention après une catastrophe.

Droit foncier des femmes : que s’est-il passé après le tsunami ?

L’étude relative à la délivrance de titres de propriété financée par le GAP a vu la participation de l’ensemble des populations—des centaines de personnes s’y sont prêtées, généralement à titre quasi gracieux. Les habitants d’Aceh, les femmes en particulier, ont adopté l’outil d’analyse avec enthousiasme et se sont aperçues que les résultats qui en découleraient pourraient contribuer à l’avènement d’un meilleur régime foncier à l’avenir.

Le rapport a montré qu’à l’instar de nombreux pays, à Aceh, de multiples régimes fonciers, traditionnels et formels, sont simultanément en vigueur. Certains de ces régimes ne font pas de distinction entre les femmes et les hommes, et les régimes informels permettent souvent aux populations locales d’administrer le mode de détention des droits fonciers dans un cadre socioéconomique élargi qui accorde les mêmes droits aux femmes et aux hommes.

La majorité des femmes continue de dépendre de l’avis des dirigeants et chefs religieux locaux (geuchiks) qui ne cessent de jouer un rôle important dans la protection des terres et des droits de propriété. Cette relation évolue progressivement cependant, à mesure que les femmes commencent à demander des explications et à remettre en cause certaines des décisions prises par ces dirigeants locaux.

Toutefois, au cours de l’exécution du projet RALAS, la promotion des droits fonciers des femmes a fait appel à des actions de sensibilisation ciblées et de diffusion de l’information sur les politiques envisagées. Ces actions trouvent leur justification principalement dans le fait que les femmes ne possèdent pas les informations voulues sur leurs droits. Malheureusement, la majorité des titres fonciers continue d’être enregistrée au nom des hommes. Dans les affaires de succession survenant après la catastrophe, par exemple, les femmes peuvent à peine se faire entendre ou disposent de peu de pouvoir pour agir.

L’absence de femmes au sein des comités locaux a contribué à les priver de pouvoir d’intervention. Cela les a empêché de rétablir l’accès à leurs terres et de rentrer dans leurs droits de propriété. De plus, l’absence de données désagrégées par sexe a aussi limité les capacités de l’État à faire face aux difficultés rencontrées par les femmes. C’est dans ce contexte que la communauté internationale et les ONG locales ont joué un rôle déterminant, établissant un consensus élargi autour du rétablissement des droits de propriété des femmes et faisant aussi valoir les bonnes pratiques et la gouvernance équitable.

Renforcer les droits fonciers des femmes pour l’avenir

L’étude a mis en lumière les voies par lesquelles les femmes ont tenté de recouvrer leurs terres et leurs droits de propriété. Les méthodes utilisées pour recouvrer les terres et reconstruire les habitations immédiatement après la catastrophe comprenaient généralement le recours à des points de repère temporaires pour réclamer des droits sur la propriété foncière—pour éviter les pressions exercées sur elles, les femmes utilisaient, pour identifier leurs propriétés, les noms des personnes de sexe masculin membres de leurs familles.

Les femmes ont aussi manifesté un grand intérêt dans les exercices d’établissement de cartes entrepris à l’échelle des populations de base, sans compter le niveau de participation élevé des femmes sur l’ensemble de l’île. L’étude révèle en effet que dans les domaines du recouvrement de terres et de l’effort de reconstruction, leur participation a été plus grande dans les actions de proximité que dans d’autres programmes.

Le rapport a mis en évidence plusieurs domaines susceptibles d’améliorations pour donner une impulsion aux droits fonciers de la femme à l’avenir. Les dirigeants traditionnels et les institutions publiques ont tendance à retenir des stéréotypes du rôle et des droits de la femme et sont moins disposés à adopter des solutions empreintes de créativité et à soutenir les revendications des femmes. En rendant les tribunaux qui appliquent la loi islamique (Shariah) plus accessibles aux femmes au moyen d’actions de sensibilisation sur l’égalité des sexes auprès des responsables des tribunaux, cette situation pourrait s’améliorer. Il est en effet possible que la diffusion d’informations sur les tribunaux et l’interprétation de la loi islamique par des juges de sexe féminin contribuent à appuyer les droits de la femme. Une autre question importante a trait à la nécessité de renforcer les objectifs de l’État au titre des fonctions d’enregistrement des terrains et d’attribution des titres fonciers au bénéfice des femmes. La majorité des politiques publiques ne fait pas de distinction entre les femmes et les hommes actuellement. Si ces politiques prennent en compte certains sujets spécifiques aux femmes, elles ne font toutefois pas de distinction entre les groupes vulnérables et ceux qui sont relativement protégés ; elles ne tiennent pas non plus compte des limites des pratiques et institutions locales et informelles. Par ailleurs, il est tout à fait envisageable d’investir plus de ressources dans le recrutement et la formation des agents de sexe féminin, aussi bien sur le terrain qu’au niveau central.

Implications pour Haïti et les autres zones frappées par des catastrophes

Dans la situation qui prévaut après une catastrophe, il convient d’aborder la question des droits fonciers et de propriété suivant une méthode d’approche qui fonctionne bien et tienne compte des questions de parité hommes-femmes : c’est une condition essentielle de la gestion du programme de reconstruction et de développement. Si tout le monde s’accorde à reconnaître que les catastrophes naturelles affectent les femmes et les hommes de manières différentes, peu de directives existent qui permettraient d’adopter une méthode d’approche intégrant la problématique de la parité hommes-femmes dans le cadre des programmes de gestion des catastrophes et de reconstruction. On ne saurait sous-estimer la traumatisante expérience que connaît une communauté qui est passée par une situation de catastrophe. Il est important que dans leur conception, les programmes de redressement et de reconstruction répondent aux besoins sociaux, économiques et psychologiques des femmes et des hommes. Lorsque les femmes ont droit à la propriété, cela représente pour leurs familles une sorte de soutien socioéconomique qui peut stimuler quelque peu le processus de redressement de la communauté en général.

Échangées par PREM avec d’autres groupes de la Banque mondiale intervenant dans des pays sortant d’une catastrophe, Haïti par exemple, les recommandations ci-après s’inspirent de l’expérience d’Aceh et des connaissances rassemblées par l’équipe qui s’y est occupée des questions de reconstruction. Immédiatement après une catastrophe, les services publics de tutelle doivent déclarer un gèle des transactions foncières et des transferts de propriété pour éviter les cas d’usurpation de terres et de dépossession.

Le contexte qui prévaut après une catastrophe est différent de celui d’une action de développement : des besoins immédiats doivent être satisfaits après une catastrophe pour que les citoyens puissent disposer du minimum nécessaire pour survivre. La coordination de l’action des bailleurs de fonds, des ONG, etc., sous la direction des autorités publiques, est absolument nécessaire pour assurer le succès des interventions d’urgence et des efforts de reconstruction.

Il y a lieu de concevoir et de gérer simultanément des méthodes d’approches coordonnées par les pouvoirs publics et axées sur les populations locales afin de rétablir les droits fonciers et les droits de propriété. Cela est absolument nécessaire pour l’intégration des femmes dans les projets d’attribution de titres fonciers. De plus, toutes ces actions doivent être menées par des équipes composées de femmes et d’hommes intervenant sur le terrain comme dans la prise de décision. Après une catastrophe, l’établissement de cartes foncières permet à la communauté concernée d’évoluer rapidement vers la réponse aux questions de logement et de reconstruction. Cela permet d’assurer le respect des droits de propriété foncière. Si cette procédure est bien documentée et des accords communautaires normalisés sont signés, elle peut aider à réduire les conflits liés aux questions foncières et fournir aux pouvoirs publics une bonne base sur laquelle asseoir les décisions officielles et l’enregistrement des titres de propriété.

Dans les interventions d’urgence, il est absolument nécessaire de veiller à assurer l’équilibre entre célérité et délibération. Les gens ont certes des besoins urgents qu’il faut satisfaire, mais il est tout aussi important de tenir compte de leurs besoins à long terme et de réduire les dépenses. Par exemple, l’expérience montre qu’il est mieux de reconstruire les habitations suivant les normes réglementaires, en tenant compte des droits fonciers reconnus. Les technologies de l’information et de la communication peuvent être mises à contribution pour soutenir et renforcer la préparation à faire et la réponse à apporter aux situations d’urgence et aux efforts de reconstruction. Pourvu qu’ils soient adaptés au contexte, les outils tels que les SIG et le GPS sont très utiles. Cela sera d’autant plus pertinent que les groupes qui font partie intégrante de la population concernée (plutôt des fonctionnaires publics ou des entrepreneurs privés) reçoivent la formation voulue pour s’en servir.

La sensibilisation du public aux questions d’attribution de titres fonciers et de droits de propriété est déterminante pour que chacun connaisse ses droits, aussi bien pendant qu’après la catastrophe. À moins de connaître ces droits, les femmes ne peuvent pas réclamer les terres et les biens immobiliers auxquels elles ont droit. Une méthode de sensibilisation a donné les preuves de son utilité : amener les populations locales à s’approprier le programme d’action sur la parité hommes-femmes en s’appuyant sur des idées, des coutumes, des proverbes et d’autres valeurs locales. Tout cela doit être intégré à des campagnes de sensibilisation pour assurer que la prise en compte de la dimension égalité hommes-femmes ne soit pas perçue comme une notion imposée par l’« Occident », mais comme un besoin local. La prise en compte des facteurs liés à la parité entre les hommes et les femmes dans le contexte de l’administration foncière peut contribuer à faire baisser les tensions qui existent au sujet des questions d’identité, de statut et de pouvoir, et qui pourraient menacer la paix et la sécurité dans les sociétés sortant d’un conflit.

Point n’est besoin d’effectuer une évaluation parfaite des dégâts. Il est possible de réagir à une crise par des interventions pertinentes, la cartographie communautaire par exemple, susceptibles de démarrer immédiatement, parallèlement à la mise en place d’un cadre officiel plus large. Toutefois, des méthodes complémentaires coordonnées par les pouvoirs publics et axées sur la communauté sont indispensables pour assurer la réhabilitation des terres et le rétablissement des droits de propriété. Cela est absolument nécessaire pour assurer l’inclusion des femmes dans le système économique. Lorsque les efforts de coordination sont dirigés par l’État, cela se traduit par un appui opportun et par l’élimination quasi totale des incertitudes juridiques et institutionnelles.

Api
Api

Bienvenue