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Lieux pauvres, populations prospères : comment le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord peuvent surmonter les disparités spatiales

15 juin 2010


Juin 2010 - Les inégalités de niveau de vie entre régions au sein d’un même pays constituent l’une des questions les plus complexes auxquelles sont confrontés les pouvoirs publics. Et le problème concerne l’ensemble des pays du monde : certains pays industrialisés n’ont toujours pas trouvé de solutions pour développer leurs régions à la traîne économiquement : c’est le cas par exemple des États-Unis avec les Appalaches, de l’Italie avec la Calabre, de l’Allemagne avec sa partie orientale, ou encore du Royaume-Uni avec le sud du Pays de Galles.

Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé Poor Places, Thriving People: How the Middle East and North Africa can Rise above Spatial Disparity (« Lieux pauvres, populations prospères : comment le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord peuvent surmonter les disparités spatiales ») et présenté le 15 juin à Dubaï (Émirats arabes unis), la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) peut parvenir à élever le niveau de vie dans ses zones géographiquement défavorisées et les moins développées économiquement grâce à des choix politiques informés et pertinents – et pas seulement en recourant à de lourds investissements.

La publication de ce rapport a donné lieu à un événement organisé à la Dubai School of Government, une institution fondée en collaboration avec la Kennedy’s School of Government de l’université Harvard. Devant un parterre de hauts fonctionnaires venus de toute la région, d’universitaires et de journalistes, la vice-présidente pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) de la Banque mondiale, Shamshad Akhtar, a présenté le rapport dans ses termes : "À la Banque mondiale, nous avons conscience de l’urgence que représente, pour les gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, la question de la réduction des disparités spatiales dans les niveaux de vie. Nous entendons les préoccupations des ministères concernés à l’égard d’un certain nombre de régions telles que le nord et le sud du Liban, le nord-est de la Syrie, le nord-ouest de la Tunisie, le sud-ouest de l’Arabie saoudite et les montagnes de l’arrière-pays marocain."

Le rapport commence par un constat simple : la concentration d’activités économiques dans certaines zones géographiques constitue un facteur puissant de croissance et de compétitivité. Lorsque les producteurs se regroupent à proximité de leurs consommateurs, ils peuvent plus facilement partager une main d’œuvre qualifiée et des fournisseurs et bénéficier d’un apprentissage mutuel.

Tous les pays qui tentent de s’opposer à ce phénomène d’agglomération économique s'exposent à un déclin de la croissance, de l’emploi et de la compétitivité. Mais l’agglomération économique n’implique pas nécessairement des inégalités spatiales. Dans un pays comme la France, par exemple, l’ensemble des niveaux de vie régionaux ont convergé, alors que dans le même temps l’activité économique se concentrait sur Paris et sa région.

"Les décideurs politiques de la région peuvent surmonter les inégalités, parfois intolérables, dues aux désavantages géographiques, sans compromettre l’efficacité économique", explique Alex Kremer, auteur principal du rapport et économiste en chef à la Banque mondiale. "Ce que nous préconisons, c’est une analyse approfondie de chaque situation locale, et la mise en place d’un ensemble de politiques adaptées aux caractéristiques de chaque région en retard de développement. L’essentiel réside dans la pluralité et la spécificité des mesures. Ce sont les prescriptions générales qu’il faut éviter."


Le rapport met aussi en question l’idée selon laquelle la région devrait dépenser des sommes colossales dans des mégaprojets et des subventions en faveur des zones les plus pauvres. Les solutions les plus pertinentes pour ces zones géographiquement désavantagées ne sont pas toujours celles qui semblent les plus évidentes de prime abord, note M. Kremer. "Par exemple, la promotion de l’éducation des filles doit être considérée comme l’une des grandes priorités pour le développement des zones défavorisées. De même, la construction de routes rurales, comme l’existence de bonnes relations entre entreprises et institutions publiques, sont des éléments qui peuvent contribuer à améliorer la situation."

Avant tout, les disparités spatiales (le fossé entre les zones désavantagées et les régions plus développées) peuvent être moins importantes qu’en apparence, suggère le rapport. Les décideurs politiques doivent avoir une compréhension objective de la mesure dans laquelle le bien-être d’un ménage est affecté par son emplacement géographique : les implications du lieu géographique en termes d’inégalités varient en effet en fonction des pays. Par exemple, dans la région MENA, c’est au Maroc que la composante spatiale de l’inégalité est la plus élevée, puis viennent dans l’ordre l’Égypte, le Yémen et la Syrie ; en revanche, elle est beaucoup moins importante en Jordanie ou à Djibouti. Dans aucun des pays de la région, toutefois, l’inégalité zones rurales/zones urbaines ne dépasse jamais plus d’un cinquième du total des inégalités pesant sur les dépenses des ménages. De manière générale, les disparités urbaines/rurales et interprovinciales ne sont pas plus importantes dans la région MENA que dans les autres régions en développement dans le monde.

La question fondamentale à laquelle le rapport tente de répondre est : comment préserver les fruits de l’agglomération économique, tout en réduisant les différences de niveau de vie entre les différentes régions d’un même pays, comme la France a su le faire ? Pour y répondre, le rapport propose trois trains de mesures pour l’action politique :

En premier lieu, toute réponse politique doit assurer des conditions égales pour tous et investir dans le capital humain. L’histoire politique et coloniale de la région MENA, qui se caractérise par des bureaucraties centrales puissantes, des politiques économiques et fiscales centralisées et un faible degré de responsabilisation mutuelle, a conduit à un abandon général de certaines zones. Pour assurer des conditions d’accès au développement équitables, le défi consiste à surmonter les désavantages historiques des populations situées dans les zones périphériques.

Le deuxième axe consiste à améliorer les liaisons entre les régions les plus riches et les zones économiquement défavorisées. Les zones les plus pauvres de la région MENA possèdent l’avantage de la proximité, puisque 61 % de leur population vit à trois heures de route ou moins d’un grand centre urbain. Il est donc possible de connecter ces zones défavorisées aux centres en investissant dans des secteurs clés tels que les transports, la facilitation des échanges ou encore les technologies de l’information et de la communication.

Enfin, le rapport démontre que les gouvernements peuvent faciliter un développement groupé dans des zones au potentiel inexploité, non pas en apportant de grandes sommes d’argent ou de grandes infrastructures, mais plutôt en soutenant les acteurs locaux et en les aidant à coordonner leurs initiatives. Il s’agit ici de privilégier les partenariats public-privé, d’investir dans le capital humain et dans des infrastructures appropriées, et de comprendre quelles initiatives les territoires ont les moyens et l’intérêt de soutenir, plutôt que d’imposer certains investissements avec force subventions et allègements fiscaux.

En résumé, le message central du rapport est que si la concentration d’activités économiques dans certaines zones est une condition inévitable de la croissance, les gouvernements ont en leur pouvoir la capacité d’atténuer les disparités spatiales, grâce à une analyse rigoureuse et des mesures politiques appropriées. Il s’agit d’une question de choix politique, et non d’une fatalité géographique.

Le lancement de la publication a été suivi, le lendemain, d’un atelier organisé par la Banque mondiale et destiné aux représentants des gouvernements de la région MENA. Outre le partage de leurs expériences nationales, ceux-ci ont pu bénéficier d’une présentation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le nouveau paradigme du développement régional.

Cette journée a notamment permis aux participants d’échanger leurs expériences sur la question de la promotion du développement humain et du rôle de l’éducation, de la santé et de la protection sociale dans la réduction des disparités spatiales. La valorisation des transports et des technologies de l’information pour faire bénéficier de la croissance les zones en retard économique a également été discutée.

Enfin, une session était consacrée à l’examen des différentes actions en cours dans les pays pour reconfigurer leurs institutions et leurs systèmes en faveur du développement local et de l’aménagement du territoire.

 


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