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publication 24 avril 2019

Maurice : comprendre la mobilité des salaires et l’inégalité des chances sur le marché du travail en quatre graphiques

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PORT LOUIS, 24 avril 2019 — La transition progressive des secteurs traditionnels, employeurs d’une main-d’œuvre peu qualifiée, vers le secteur des services explique le creusement des inégalités de revenu des dernières décennies à Maurice. Cette évolution a entraîné une demande beaucoup plus importante de travailleurs qualifiés, que le pays a bien du mal à satisfaire malgré les avancées considérables de l’éducation. Par conséquent, les travailleurs qualifiés ont bénéficié de hausses de salaires nettement plus fortes que les travailleurs sans qualifications, enfermés dans des emplois mal payés dont ils peinent à sortir.

Le récent rapport de la Banque mondiale, intitulé Mauritius: Earnings Mobility and Inequality of Opportunity in the Labor Market, analyse en profondeur l’étendue et la nature de la mobilité des revenus et de l’inégalité des chances sur le marché du travail mauricien, afin de vérifier si les travailleurs peu rémunérés finissent par rattraper le niveau de salaire de ceux mieux payés présentant les mêmes caractéristiques, mais aussi d’identifier les facteurs personnels contribuant à la mobilité des revenus, et enfin de définir dans quelle mesure le contexte familial à la naissance influe sur l’aptitude d’un individu à accéder à certains types d’emplois de qualité.

Les quatre graphiques suivants résument les principales conclusions du rapport et les recommandations concernant la marche à suivre.

Le rattrapage entre bas et hauts salaires s’effectue lentement. Entre 2005 et 2015, les travailleurs les moins bien payés ont obtenu en moyenne une hausse de salaire d’environ 24 % (772 roupies mauriciennes) sur une période de 16 mois — à comparer avec une érosion moyenne d’environ 15 % pour les rémunérations les plus élevées (soit une perte médiane de revenu de 2 200 roupies).

Évolution en pourcentage des salaires, par quintile de revenu initial, 2005-15

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Source : d’après l’enquête permanente sur les ménages à fins multiples, Bureau central de la statistique, Maurice. Les données des composantes de l’enquête suivent les revenus des travailleurs sur une période allant jusqu’à 16 mois.

Le rattrapage n’est pas aussi rapide pour les femmes et les travailleurs peu instruits. D’une manière générale, à caractéristiques similaires, les femmes bénéficient d’une moindre mobilité salariale que les hommes. C’est aussi le cas pour les travailleurs peu instruits par rapport aux travailleurs ayant un bon niveau d’éducation. Ainsi, ceux qui ont fait des études postsecondaires ou supérieures connaissent une plus forte évolution de salaire sur une période de 16 mois (de 43 points de pourcentage) que les travailleurs ayant arrêté leur scolarité après le primaire.

Le fait d’être une femme ou la différence de niveau d’instruction influent sur l’évolution en pourcentage du revenu, 2005-15

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Source : d’après l’enquête permanente sur les ménages à fins multiples, Bureau central de la statistique, Maurice. Note : l’impact du genre (être une femme par opposition à être un homme) et de l’instruction (niveau primaire au maximum par opposition aux autres niveaux d’étude) sur l’évolution en pourcentage du salaire est représenté par les points. L’analyse tient compte d’un certain nombre de caractéristiques individuelles, dont le salaire initial, l’âge, le genre, le niveau d’instruction, le lieu de résidence, la catégorie d’emploi initial, le secteur, le métier et les transitions entre secteurs entre la période de départ et la période de fin.

La convergence des hausses de salaire ne suffit pas à compenser le creusement des inégalités. L’aggravation des inégalités observée ces dix dernières années suggère que les salaires du bas de la distribution ont moins augmenté que les salaires situés dans le haut de la distribution (barres rouges). Dans le même temps, le suivi des travailleurs sur une période de 16 mois montre que ceux qui se situaient au départ dans le bas de la distribution ont connu une plus forte hausse de salaire que ceux qui se trouvaient au départ dans le haut de la distribution (barres bleues). Cela peut paraître paradoxal. Pour bien comprendre ce qui différencie ces deux résultats, il ne faut pas oublier que la position des travailleurs à différents niveaux de la distribution des revenus évolue avec le temps, à mesure qu’ils progressent dans l’échelle des salaires. Les travailleurs qui se situaient au départ dans le bas de la distribution ne sont pas les mêmes que ceux qui s’y trouvent 16 mois plus tard, parce qu’ils ont vu leurs salaires augmenter légèrement. L’inverse est vrai pour les travailleurs qui se trouvaient au départ dans le haut de la distribution. On voit par là que les inégalités, qui mesurent l’écart entre les salaires du bas et du haut de la distribution, se creusent probablement tandis que les individus qui ont démarré avec les salaires les plus faibles bénéficient d’une hausse supérieure à celle des travailleurs les mieux payés au départ.

Évolution médiane des revenus, par quintile : travailleurs anonymes / travailleurs du panel, 2005-15

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Source : d’après l’enquête permanente sur les ménages à fins multiples, Bureau central de la statistique, Maurice. Note : salaires aux prix de 2015.

L’accès à l’emploi des femmes et des jeunes reste limité. Entre 2000 et 2011, l’égalité d’accès aux opportunités professionnelles s’est globalement améliorée, grâce en grande partie à une hausse du niveau d’instruction de la population. Mais ces opportunités ne sont pas réparties de manière égale et le genre, l’éducation et l’âge expliquent la majeure part de ces inégalités. D’une manière générale, les femmes ont moins accès à l’emploi, surtout s’il s’agit de postes à plein temps. En 2016, le taux de participation des hommes ressortait à 89 %, contre seulement 56 % pour les femmes. L’éducation joue un rôle important dans les inégalités d’accès à un emploi de qualité, tandis que la jeunesse mauricienne connaît un taux de chômage supérieur à la moyenne. Deux facteurs expliquent l’importance du chômage des jeunes à Maurice : d’une part, la réticence des travailleurs peu qualifiés à accepter des emplois dans certains secteurs, notamment l’agriculture et les industries d’exportation, à cause des conditions de travail et du statut social qui y est associé ; et, d’autre part, les difficultés des employeurs à trouver des profils présentant les compétences techniques recherchées, signe que le système éducatif n’est pas adapté aux attentes du marché du travail ou que les jeunes sont moins susceptibles de s’engager dans ces filières (quand elles existent).

Facteurs contribuant aux inégalités d’accès aux opportunités professionnelles, 2000 et 2011

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Gauche: 2000. Droite: 2011. Source : d’après le recensement de la population et des logements, Bureau central de la statistique, Maurice.

À terme, Maurice peut renforcer les politiques de développement des compétences adaptées à l’évolution du paysage économique, améliorant ainsi la mobilité des revenus tout en compensant les inégalités. En plus de débuter avec des rémunérations supérieures, les travailleurs possédant les qualifications les plus recherchées connaissent des hausses de salaire plus rapides que les autres. Le gouvernement doit commencer par effectuer une évaluation globale des compétences recherchées aujourd’hui et demain par les entreprises, afin d’adapter les cursus scolaires et les programmes de formation continue pour que les travailleurs en poste puissent réagir aux nouvelles attentes du marché du travail.

Le pays doit également poursuivre le déploiement de politiques sociales plus favorables aux femmes, qui facilitent leur participation au marché du travail et réduisent les écarts de salaire. Des systèmes accessibles de prise en charge des enfants et des personnes âgées et des réglementations du temps de travail encourageant la flexibilité pourraient aller dans ce sens. Des campagnes de sensibilisation peuvent aussi faire évoluer les normes empêchant les femmes d’occuper des postes bien rémunérés. Des investissements dans des programmes pour aider les femmes à faire carrière et acquérir des compétences de direction pourraient également les préparer à postuler dans le secteur privé.

Face au chômage des jeunes, Maurice peut actionner deux leviers afin, d’une part d’améliorer les liens entre systèmes d’éducation et de formation et marché du travail, de sorte que chacun puisse acquérir les compétences nécessaires pour les emplois d’aujourd’hui et de demain ; et, d’autre part, de réunir les différents programmes d’emploi et les associer plus étroitement aux politiques d’éducation comme aux attentes des employeurs, ce qui permettra d’avoir une stratégie globale intégrant formation continue, formations traditionnelles de courte durée, apprentissage tout au long de la vie et services de placement et d’orientation.